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Article intéressant !
Source : http://www.nouvelobs.com/dossiers/p2100/a262194.html
Internet : Libérez la musique !
8 millions de Français ont déjà téléchargé de la
musique sur internet. A défaut de pouvoir l’empêcher, les majors de
l’industrie musicale tentent d’intimider les «pirates» en multipliant
les poursuites pour « contrefaçon ». Sans doute l’industrie du disque
se porte mal. Et la révolution numérique ne saurait se faire au
détriment des artistes et des producteurs, dont le travail doit être
protégé et rémunéré. Mais d’autres solutions existent. De nouveaux
systèmes de financement sont à inventer. Les professionnels devraient
s’y employer. C’est ce à quoi les invitent tous ceux, artistes, acteurs
de l’industrie musicale, politiques, qui ont signé l’appel du «Nouvel
Obs»
Feu sur les pirates! C’était le dernier tube qu’on
entendait en boucle fin janvier au Midem, la grande foire annuelle du
disque à Cannes. Et c’est ce qu’ont appris à leurs dépens une centaine
d’internautes ces derniers mois. La SCPP (Société civile des
Producteurs phonographiques), menée par Pascal Nègre, le PDG
d’Universal, a décidé de sortir l’artillerie lourde: en lançant les
premières salves de la répression, la SCPP a annoncé la mise en service
d’un redoutable logiciel pince-corsaires. Aux Etats-Unis, on annonce
quelque 7706 plaintes. En France, plus de 500 procédures sont en cours.
Une cinquantaine de plaintes ont été déposées cet hiver, dont celle
contre le désormais célèbre Alain, ce prof de Pontoise. La Sacem
réclame 28 000 euros de dommages et intérêts. Il devrait connaître le
verdict le 3 février. Anne-Sophie, chômeuse rennaise, après avoir été
entendue comme une dizaine d’autres à l’automne, attend de savoir quand
elle sera convoquée devant le juge. Le jeu de massacre ne fait que
commencer! La très grande majorité des pirates qui passeront par
la case tribunal ne sont pourtant pas des trafiquants. Ils ont copié
pour leur usage privé des morceaux sur le web (certains en ont
téléchargé des centaines), comme leurs aînés copiaient les tubes à la
radio sur cassette. «Mon fils en a copié des
dizaines, beaucoup de Bob Marley. Il a copié plein d’anciens morceaux
introuvables dans le commerce. La plupart de ses amis le font, nous a confié une star de la chanson. A son âge, moi, je copiais les
cassettes des copains. Pour un album acheté, on en copiait 10. On n’avait pas
les moyens d’en acheter des centaines, alors on faisait tourner.»
Si les internautes avaient acheté les 150 milliards de morceaux
téléchargés en 2003, d’après l’Idate, prestigieux cabinet de
consultants dans le domaine de la communication, le chiffre d’affaires
annuel de l’industrie du disque serait supérieur au budget des
Etats-Unis. Oui mais, voilà, la grande majorité des œuvres copiées ne
seraient pas achetées, disent d’autres experts. En
réduisant l’offre de singles, en persistant à vendre des albums d’un
bloc, l’industrie du disque s’est fragilisée toute seule. La
disparition des petits disquaires et la pauvreté de l’offre dans les
hypermarchés (souvent les têtes d’affiche et des morceaux exploités
jusqu’à la moelle dans des compilations – allez trouver un large
éventail de jazz, des morceaux de world music dans un Géant Casino
auvergnat!) ont poussé les internautes à se ruer sur internet pour
avoir du choix. Encouragés par la technologie, ils ont pensé, qu’ils
soient chômeurs ou cadres chez Total, qu’ils avaient le droit de
s’approprier des morceaux parfois introuvables dans le commerce.
Erreur. La copie pour usage privé est légale après l’achat d’une œuvre.
Depuis la loi de 1957, la copie d’une œuvre prêtée, elle, est punie de
trois ans de prison et de 300000 euros d’amende! C’est ce que risquent
les pirates du réseau. Moins de 0,1% d’entre eux seront jugés: un tiers
au moins des 23 millions d’internautes ont copié au moins une fois un
titre illégalement sur un logiciel d’échange dit «peer to peer»
ou P2P (de particulier à particulier). Ces boucs émissaires (parfois de
gros téléchargeurs, mais qui n’ont eu que le tort de se brancher au
mauvais endroit au mauvais moment) vont servir d’épouvantails. La
règle? «Dès que
vous avez copié une œuvre, si vous êtes repéré, vous êtes en infraction», explique un policier spécialisé dans la cybercriminalité. De quoi donner des sueurs froides à plusieurs millions de Français. Des con-damnations sont déjà tombées. «Mais ce
qui choque, c’est que d’une juridiction à l’autre les peines varient énormément.
Certains partiront avec 500 euros d’amende, d’autres avec 20000!», constate Jean-Baptiste Soufron, juriste qui défend une vingtaine de pirates au sein de l’association les Audionautes. «Les lois n’ont pas suivi
l’évolution technologique»,
renchérit Christian Paul, député PS, ex-ministre à l’Outre-Mer et
ancien conseiller internet de Lionel Jospin. Peu importe à la SCPP, qui
a un unique objectif: faire peur. Le mot d’ordre a été transmis aux
gendarmes. Certains ont débarqué à l’aube pour perquisitionner chez des
internautes. Parfois l’ordinateur est confisqué. Certains corsaires ont
eu droit à des gardes à vue intimidantes. Quelques-uns risquent… la
déconnexion pure et simple. Privés d’ordinateur et de réseau. «Alors qu’ils
sont pour la plupart des gens comme vous et moi, des profs, des cadres, des
ados, des gens souvent sans casier judiciaire»,
dit Jean-Baptiste Soufron. Pistés sur internet par la brigade contre la
criminalité informatique ou tombés à la suite… de dénonciations
anonymes par lettres. Un phénomène de plus en plus courant. Pourtant,
d’après la SCPP, 4,5 millions d’internautes s’échangent de la musique
en ligne chaque jour et 8 millions de Français ont déjà téléchargé au
moins une fois dans leur vie de la musique sur internet. «Je ne l’ai jamais fait, moins par vertu que
par incompétence technique»,
dit la journaliste Pascale Clark, voix mythique de France-Inter passée
sur RTL. Comme elle, nombre de Français n’ont jamais piraté de leur vie
parce que l’informatique, ce n’est pas vraiment leur truc. «J’explique à mes enfants que c’est interdit de pirater,
qu’il faut acheter les œuvres», explique Guillaume Sarkozy. «Criminaliser le P2P est une belle hypocrisie. C’est comme
essayer de construire une digue de sable face à la mer!», ironise de son côté Didier Mathus, député PS. Oui,
mais la chasse aux pirates est une cause qui a l’avantage d’être simple
à mettre en œuvre. Et qui permet de détourner l’attention d’un
véritable enjeu: la guerre sur le montant des droits d’auteur, sur leur
répartition. Ainsi des majors, après avoir freiné des quatre fers
pendant des années, emmènent les artistes à marche forcée vers une
offre légale sur internet pour justifier leur politique répressive.
Sans leur laisser le choix sur le contrat. C’est notamment pour cela
que vous ne trouverez pas un grand nombre d’interprètes sur le magasin
virtuel de la Fnac: Patrick Bruel, Vanessa Paradis, Jean-Jacques
Goldman, Mylène Farmer, Björk et beaucoup d’autres sont aux abonnés
absents, ou quasiment. Ces stars refusent ce qui leur est proposé.
Alors que 14 artistes (dont Zazie ou Renaud) font actuellement de la
publicité pour les plates-formes payantes «Téléchargez-moi légalement», une
véritable guerre des droits qui pourrait durer des années est engagée.
Certains contrats devront être renégociés au cas par cas avec les
auteurs ou leurs héritiers. A ce jour, impossible d’acheter les Beatles
sur le Net. Difficile de trouver AC/DC ou beaucoup de vieux tubes des
années 1980. L’offre légale s’étoffe mais reste insuffisante.
C’est un problème. L’autre étant l’entente impossible entre fabricants
de matériels. Faute d’un standard commun, les morceaux en vente ne
peuvent pas être écoutés sur tous les appareils. Le marché du disque va
mal, en tout en cas en France. Pourtant, c’est une véritable manne qu’a
générée la musique ces dernières années: entre les baladeurs MP3, les
abonnements à l’internet haut débit, les sonneries de portables (un
marché en pleine explosion), c’est le jackpot. Sans parler du boum des
ventes de CD vierges, fabriqués notamment par… la major Sony. Le pirate
tue le marché du disque, nous disent les maisons de disques et des
sociétés de gestion des droits comme la toute-puissante Sacem. Certains
faits viennent contredire cette belle évidence. Prenez le Canada. La
Cour fédérale d’Ottawa a interdit aux fournisseurs d’accès internet de
livrer l’identité des internautes poursuivis par l’Association
canadienne de l’Industrie du Disque. Ce qui revient en gros à donner
son feu vert au téléchargement. Pourtant en 2004, après six années de
baisse, le marché a augmenté là-bas de… 5%. Et si la diabolisation
du P2P et de l’internaute n’était qu’un écran de fumée pour cacher les
dissensions qui courent aujourd’hui dans le milieu de la musique? «Il y a
six ans, toutes les majors riaient au nez d’Apple, qui leur proposait de mettre
leur musique en ligne»,
explique Jean-Louis Aubert. Résultat, l’industrie a pris un retard
considérable. Elle a eu la peau de Napster, le premier logiciel P2P,
localisé aux Etats-Unis, et s’est fait doubler par des logiciels
assemblés par morceaux depuis les quatre coins de la terre, et donc
difficiles à localiser. Si l’association des majors et des labels
indépendants ont signé au Midem une charte de lutte contre le piratage,
des associations représentant les intérêts des artistes, comme l’Adami
ou la Spedidam, s’élèvent, elles, contre la politique de la peur. «C’est un sujet tabou. Beaucoup de
politiques n’osent pas prendre position sur cette affaire de piratage de peur
qu’on les accuse d’être contre les artistes. Pourtant, c’est de notre politique
culturelle qu’il s’agit. Dans ma circonscription de Montceau-les-Mines, en
Saône-et-Loire, la seule solution, c’est l’hyper du coin. Où est la diversité
culturelle? Sur internet, sur les plates-formes de P2P», dit
Didier Mathus, le député local. Les artistes? Ils sont divisés.
Certains sont pour la répression mais refusent de le dire trop haut, de
peur de se mettre la jeunesse à dos. Ceux qui sont contre ont peur de
froisser leur maison de disques avec qui ils sont en délicatesse (crise
et niveaux de rentabilité obligent, les contrats sont de plus en plus
précaires même pour des vedettes). Il y a aussi ceux qui pensent
sincèrement qu’internet est la cause de tous les maux. «Maxime Le Forestier est très remonté contre les
pirates»,
dit un professionnel. Comme lui, Eddy Mitchell ou CharlElie Couture,
pourtant fan d’internet, souhaitent que cesse le téléchargement
illégal. Les groupes IAM ou Kyo sont contre la répression et contre le
téléchargement illégal. «Je ne suis pas d’accord avec ce
que font les majors, mais si je m’exprime, je risque gros», dit une star française. Une autre: «Je signe votre appel, mais je vais
me planquer pendant dix jours! Ils vont me tomber dessus.» Même Robbie Williams, l’idole anglaise qui trouvait le téléchargement «cool», a dû faire profil bas. «Avec la crise, tous les artistes ont peur de se faire virer
de leur maison de disques. Alors, c’est motus», dit le chanteur Sinclair. «Moi, je suis hors contrat, donc c’est plus facile d’en
parler.»
Ainsi Carla Bruni, qui s’était dit plutôt favorable au téléchargement,
n’a pas voulu se prononcer sans l’assentiment de… Patrick Zelnick,
patron de Naïve. «Les maisons de disques ont
gagné des fortunes avec les CD, dit un expert du milieu de la musique. A une époque, le budget fleurs de Sony était supérieur à
celui dédié à la recherche de talents! Internet, qui menace cette manne, les
terrorise.»
Pourtant, ils n’osent pas aller prendre l’argent où il se trouve, en
exigeant que les fournisseurs d’accès à internet qui ont vendu leur
forfait haut débit, précisément pour faciliter le téléchargement,
paient une taxe. Une taxe d’un euro par mois rapporterait près de 80
millions! «Ce serait injuste, tout le monde ne télécharge pas
illégalement»,
rétorque un membre de l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA).
Certes, mais la taxe sur les supports vierges a été inventée pour
compenser les pertes dues aux copies privées, alors même que tout le
monde n’enregistre pas des œuvres non libres de droits. De la même
manière, une taxe sur les baladeurs MP3 et autres merveilleuses
technologies en plein essor est parfaitement envisageable. Elle
pourrait générer des millions d’euros de revenus. Reste à les répartir
à peu près équitablement entre les artistes. Internet est
considéré comme un fléau par beaucoup de professionnels. Pourtant,
cette révolution technologique pourrait faire sauter les vieux cadenas
installés du temps des yé-yé. C’est pour cela que les artistes et les
auteurs ne doivent pas laisser les seuls industriels s’emparer du
sujet. A quand de véritables états généraux de la musique, un vrai
débat qui ne soit pas accaparé par les magnats de cette industrie, qui
utilisent les artistes comme des marionnettes pour sauver coûte que
coûte leur modèle de pensée unique? Il faut réfléchir à la place du CD
(quelle plus-value demain?), à l’importance des concerts (difficiles à
pirater) et aux opportunités qu’offre internet (les retransmissions de
concert en live ou différé, payants ou à caractère promotionnel, la
vente de clips en ligne, l’offre de créations multimédias sont autant
de terrains à explorer). Le marché des CD a un avenir (beaucoup de
fans tiennent à détenir un objet; un morceau numérique, immatériel, ne
les comblera pas). L’offre légale, si elle assure un paiement sécurisé
pour des produits de haute qualité, va se développer. Elle explose
actuellement: les derniers chiffres – 200 millions de fichiers vendus,
soit 10 fois plus qu’en 2003 – prouvent que les consommateurs sont
demandeurs, même lorsque existent les plates-formes P2P «clandestines».
Enfin, l’offre pseudo-gratuite (impossible de télécharger sans
acquitter un droit d’accès au Net!) peut être une source de revenus
supplémentaire si elle est taxée. Surtout tant que l’offre légale
restera balbutiante. Enfin, les amateurs de musique, à la radio hier,
sur le Net aujourd’hui et demain, ont toujours copié les morceaux
qu’ils ne souhaitent pas acheter car ils n’ont pas les moyens de se les
offrir tous! Alors, qu’ils s’acquittent d’une taxe que pourront se
partager auteurs et interprètes. Les radios paient des droits à la
Sacem à chaque diffusion d’une chanson. Techniquement, il est tout
aussi possible de calculer le nombre de téléchargements pour un artiste
pendant une période. La preuve? C’est ce que font les producteurs pour
lutter contre le piratage. «Nos
outils nous permettent de savoir à l’unité près, après le lancement d’un album
ou d’un film, combien de fichiers ont été téléchargés en Espagne, en France, en
Grande-Bretagne, mettons pendant la semaine de la sortie», confirme-t-on chez CoPeerRight Agency, qui travaille… pour la SCPP comme agent antipirate. Quant
aux artistes, ils peuvent choisir d’utiliser le web comme un outil
promotionnel, un produit d’appel vers des œuvres plus sophistiquées,
payantes celles-ci. Le droit des artistes à percevoir des droits sur
leur création est de toute façon indispensable et indiscuté. Reste à
savoir de quelle façon. Avec internet, la concentration dont jouissent
aujourd’hui quelques majors risque d’exploser. Certains vont y perdre.
D’autres y gagneront sans doute. La diversité culturelle et le
consommateur aussi. Les coups de bâton freineront les corsaires, ils
n’arrêteront pas le phénomène. Des artistes, des personnalités et des anonymes ont accepté
de répondre à l’appel du «Nouvel Obs» pour mettre fin à l’hypocrisie actuelle.
Agacés par la volonté répressive en cours, ils affirment avoir eux aussi
téléchargé illégalement de la musique en ligne. Ils refusent la politique de la
matraque et souhaitent participer à l’élaboration de la musique du futur. Cette
révolution culturelle, déjà en marche, ne peut avoir lieu sans les artistes et
les consommateurs. Asphyxié par le marketing – au moins autant que par le
piratage –, soumis au formatage des principaux diffuseurs télé (TF1, M6), aphone
depuis les années radios libres, le monde de la musique, en crise, a
paradoxalement une occasion unique de se réinventer. Au bénéfice d’un plus grand
nombre de créateurs. Avec le souci de ceux qui les écoutent. Aujourd’hui,
l’avenir est ouvert.
Jean-Louis Aubert* «Cette histoire de pirates, c’est
un écran de fumée»Je suis pour le droit des artistes à être rémunérés
pour leur création. C’est primordial. Par contre je trouve cette
répression indigne, c’est vraiment une réponse zéro que d’envoyer des
gens qui copient de la musique en ligne devant les tribunaux. La
génération de mon fils télécharge de la musique parce que ça leur donne
accès à une grande variété de morceaux. Pour moi, le fléau, ce sont les
trafiquants, eux méritent d’être jugés. Cette histoire de pirates,
c’est un écran de fumée. De gros artistes sont en guerre avec leurs
producteurs qui veulent les obliger à mettre leur catalogue en ligne en
leur imposant les tarifs. Nous, artistes, devons pouvoir utiliser le
web et être rémunérés sur les nouvelles richesses technologiques. Moi,
ça me plairait de proposer mes concerts en vidéo pour une somme
modique. (*) Chanteur. Sinclair* «Je ne veux pas
pactiser avec Big Brother» On ne pourra pas
stopper le téléchargement. Fliquer internet, c’est odieux, je ne veux pas
pactiser avec Big Brother. Je télécharge aussi, ça me permet de découvrir des
artistes, d’ouvrir mon univers musical. Aujourd’hui, on ne s’est jamais autant
intéressé à la musique, et tout ce flux qui circule sur les plates-formes P2P
n’enrichit malheureusement que les fournisseurs d’accès. A la radio, les
artistes sont rémunérés en fonction de leur diffusion: le P2P devrait s’inspirer
de cela. Moi, j’étais en contrat avec EMI, mais ils sont en crise, on n’a pas
réussi à renégocier, je me suis barré. Les majors ne se sont pas remises en
question. Je suis aujourd’hui indépendant et ma démarche est tout autre. Je vais
sortir un double CD vendu au prix d’un CD, je me concentre sur la scène, mes
concerts sont pleins, c’est le plus important.
(*) Musicien.
Jack Lang* «Organiser de véritables états généraux de la musique» Le
mal qui frappe la musique est extrêmement grave. C’est toute la chaîne
de la production musicale qui souffre et réclame d’être soignée:
l’éducation musicale, la création, la diffusion, la piraterie. Il n’y a
pas de solution simpliste. C’est un problème global. Le gouvernement,
qui a massacré le programme pour les arts à l’école du gouvernement
Jospin, va devoir prendre courageusement ses responsabilités vis-à-vis
des diffuseurs, des opérateurs de téléphonie, des fabricants. La
renaissance d’une vie musicale passe par une vision d’ensemble. Rien ne
sert d’arrêter l’immense révolution technologique qui transforme les
pratiques de la jeunesse et bouleverse la propagation de la musique à
travers le monde. Il n’y a plus de politique musicale nationale en
France depuis une dizaine d’années. Il est temps d’organiser de
véritables états généraux de la musique, avec tout le monde: les
pouvoirs publics, les musiciens, les éditeurs, les disquaires, les
diffuseurs… En même temps ne l’oublions jamais: les artistes ne vivent
pas seulement d’amour et d’eau fraîche. Leurs droits et leur
rémunération doivent être préservés sous peine de tarir la source de
renouvellement de la création. (*) Ancien ministre de la Culture.
Magyd Cherfi* «Je préfère perdre du fric et être écouté» Quand je vois la campagne des artistes qui clament: «Téléchargez-moi
légalement», cela me hérisse, j’ai envie de dire: «Téléchargez-moi illégalement!» Je télécharge – la
dernière fois, j’ai pu écouter comme ça le dernier Renaud, l’album de Lavilliers
et par curiosité celui de Vincent Delerm –, mes potes téléchargent, mes enfants
téléchargent: ils m’ont toujours vu le faire, alors je serais mal placé pour
leur dire que c’est mal! Pourquoi parler de pillage? Personne ne revend, ne fait
de contrebande de CD, c’est juste pour écouter chez soi, échanger, partager. Les
majors diabolisent le téléchargement car elles ont peur pour leurs marges. Je
sais que quand je suis téléchargé, je perds un peu de fric, mais bon, je préfère
que ma musique soit écoutée. (*) Ex-leader de Zebda.
Pierre Lescure* «Une révolution culturelle inéluctable» Je suis fan de disques, je continue à acheter et à
collectionner, mais il m’est évidemment arrivé de télécharger. J’ai un I-pod,
j’écoute des MP3: la musique sur internet, c’est comme le téléphone, c’est une
révolution culturelle à laquelle il est difficile d’échapper. Internet me sert
surtout à dénicher des vieilleries introuvables des années 1960, des petits
groupes anglais de l’époque mersey. J’ai trouvé comme cela des vieux
enregistrements de folk édités par un label que le magazine «Playboy» avait créé
il y a trente ans... (*) Ex-PDG de Canal+. Bertrand Burgalat* «La musique aussi évolue vers la gratuité» Je
dois me battre pour faire survivre un label indépendant. Le vrai
danger, ce ne sont pas les pirates, mais les distributeurs, la Fnac et
les hypers, qui font la loi sur le marché; qui ont réduit l’offre petit
à petit. Pour un petit label, il devient de plus en plus difficile
d’être accessible en magasin. La musique est en train d’évoluer vers
une forme de gratuité, un peu comme les magazines, dont les recettes
sont plus la publicité que les ventes en kiosque. Là aussi pour un
groupe, même qui marche, les ventes de disques commencent à devenir de
plus en plus marginales en terme de revenus. Le téléchargement? C’est
utile pour se documenter, trouver justement ce que les magasins sont
incapables de vous fournir. Mais je ne suis pas un grand utilisateur:
j’ai un Mac pourri, je fais encore de la musique sur mon Atari. (*) PDG du label Tricatel, musicien.
Patrick
Eudeline* «Télécharger, c’est le sens de l’histoire» Le
téléchargement, c’est le sens de l’histoire, les jeunes téléchargent,
tout le monde télécharge. Je télécharge aussi! Même si, en tant que
critique, on m’envoie de toute façon tous les disques que je veux. J’ai
environ 50 gigaoctets de musique sur mon disque dur (l’équivalent de 10
000 chansons, ndlr), mais j’ai également 1 000, 2 000 CD, je ne sais
plus, autant de vinyles, je suis un collectionneur. Je me sers de mon
ordinateur comme d’un gigantesque juke-box. (*) Critique rock, romancier, musicien.
Chloé Delaume* «Un jeune fauché ne peut pas acheter un CD 20 euros» Le
téléchargement, c’est presque un acte politique. Un tube débile que
j’entends à la radio, je ne me gêne pas pour le télécharger, de toute
façon je ne l’aurais jamais acheté. Pour les petits groupes, les
indépendants, j’achète les CD. Internet, c’est aussi un accès à la
culture: un jeune qui est fauché ne peut pas acheter des CD à 20 euros!
Pour une fan, le P2P est une mine d’or. J’ai tous les CD de Sisters of
Mercy, d’Indochine, mais j’ai pu trouver grâce au Net des inédits, des
concerts enregistrés en pirate. J’écoute de la musique, via mon
ordinateur qui est branché sur ma chaîne. J’y ai transféré une partie
de ma discothèque et aussi plein de choses un peu kitsch que j’ai
téléchargées: des génériques de dessins animés, des versions de
Colargol chantées par Michel Sardou, bref des bêtises. (*) Ecrivain, auteur de «Corpus Simsi».
Didier Wampas* «Etre téléchargé, c’est aussi être reconnu» Oh
là là, moi, depuis deux ans, j’ai le haut débit, et évidemment je
télécharge pas mal. J’adore fouiner pour trouver des vieilleries des
années 1950, Gene Vincent, Eddy Cochran... Moi, en tant que musicien,
cela ne me dérange pas d’être téléchargé. Notre dernier album a certes
été un succès inespéré, on a fait 100 000 exemplaires, et il a
certainement été téléchargé. Mais bon... De toute façon, dans le
groupe, on est cinq et, par disque, on gagne 20 centimes d’euro chacun,
alors... Et puis être téléchargé, c’est aussi une reconnaissance, c’est
une façon de se faire connaître. Quand je vois que des groupes comme
Metallica, qui sont milliardaires, se plaignent des pirates, je me dis
qu’ils sont vraiment des enfoirés! Ils ont déjà suffisamment pris de
fric à leur public pour ne pas en réclamer davantage! De toute façon,
je ne fais pas ce métier pour l’argent. Les Wampas, ça fait vingt ans
que ça dure, et je continue mon boulot à la RATP, à mi-temps. (*) Chanteur-compositeur, leader des Wampas.
DJ Sporto Kantes* «Sans subir le diktat des grosses boîtes» Pour moi,
le téléchargement me sert pour travailler. En tant que DJ, j’ai évidemment plein
de vinyles et de CD, et également deux disques durs bourrés à craquer de
musique, 100 gigaoctets (l’équivalent de 20 000 chansons). Ce qui fait le plus
peur aux maisons de disques, c’est que le P2P donne un état réel du marché.
C’est un outil où le consommateur a le choix, et peut vraiment trouver ce qu’il
veut, sans subir les diktats des grosses boîtes. Une espèce de zone autonome
incontrôlable, d’échange et de savoir. Les plates-formes de P2P permettent de
ressortir toute une partie de notre patrimoine culturel: des groupes de musiques
en marge, des émissions de télé d’archives qu’on ne trouverait qu’à l’INA. Et
pour tous les artistes à part, qui sont de toute façon boudés par les circuits
classiques, les cinéastes, les musiciens, ça peut être une façon de faire vivre
ce que vous faites.
(*) DJ.
Christian Paul* «Les lois sont en retard sur la société» Je
télécharge du jazz – Thelonious Monk, dernièrement, et du rap, comme ce
que fait le groupe la Rumeur. Mes enfants également. Mais bon, je ne
suis pas un drogué du MP3. Le problème, c’est qu’on s’est enfermé dans
une diabolisation du P2P. Le sujet effraie les politiques, qui reste
aux mains d’experts et des lobbies. Pourtant, c’est toute notre
politique culturelle qui est en jeu. Les lois sont en retard sur la
société. Les règles sur la propriété intellectuelle datent, on est
obligé de légiférer sur des textes bricolés qui ne sont pas du tout en
phase avec notre temps. (*) Député PS de la Nièvre.
Ariel Wizman, l’arroseur arrosé S’il
aurait su, il aurait pas v’nu! En décembre dernier, le ministère de
l’Industrie contacte Ariel Wizman pour enregistrer un message
antipiratage, afin de le diffuser dans des chansons de Kyo circulant
sur les plates-formes P2P, des fichiers «leurres» – une tactique
appelée spoofing. Illico Wizman se retrouve cloué au pilori par
toute la communauté des internautes. Comme Madonna à l’époque, qui
avait fait circuler sur Napster un faux fichier avec un message «Attention, vous êtes en
train de me pirater».
Cette fois encore la démarche a eu l’effet inverse, car les pirates
trop contents se sont jetés sur ces fichiers tronqués pour récupérer
les messages antipiratages et les détourner! Et la voix d’Ariel Wizman,
comme celle de Madonna, est actuellement samplée par des centaines de
musiciens. Le résultat? Une compilation joliment appelée «Propreté
intellectuelle», qui réunira les meilleurs morceaux. Aujourd’hui, Wizman fait son mea culpa: «Ça a été vite fait, sans réfléchir et vite oublié. Surtout
que je trouve la campagne antirépression ignoble!» Wizman a donc signé notre
appel «Tous pirates!». «Je télécharge moi aussi, occasionnellement. Des
bootlegs, des remix persos, des trucs de DJ dont le système des droits d’auteur
interdit la sortie en disque. Mais je reste jusqu’au bout un fan de vinyle et,
pour moi, le passage au CD est la plus grande escroquerie que nous ait vendue
l’industrie du disque. Tant qu’à mettre la musique en conserve le MP3 n’est pas
si mal. Et c’est un standard imposé par les masses, au moins.» Ils sont contre :
Pascal Nègre* «C’est totalement idiot» Je
n’ai pas de commentaires à faire. Avec cet appel, vous voulez tuer
l’industrie musicale ou quoi? Un appel contre la répression, c’est
totalement idiot. Pourquoi ne pas lancer un appel en faveur des
chauffards de la route? Et puis ces taxes, c’est l’assassinat de la
création! Vous voulez faire une maison de disques soviétique, comme
Melodia en Russie, qui contrôlait tout le marché! L’impôt, l’impôt,
l’impôt… les nouvelles taxes ne résoudront rien, faites le calcul,
elles vont appauvrir les artistes. Je ne peux pas en dire plus
maintenant: organisez un vrai débat! (*) PDG
d’Universal.
Yves-Michel Aklé* «La répression à titre d’exemple» Le
groupe Kyo, même si ses titres sont beaucoup téléchargés, n’est pas le
plus à plaindre car il vend encore beaucoup de disques. D’autres
artistes et beaucoup d’employés de l’industrie du disque paient le prix
fort de ce téléchargement illégal qui appauvrit tout un secteur, même
si ce n’est certes pas la seule raison! Il faut donc trouver des moyens
de l’enrayer: la prévention et la sensibilisation sont bien sûr
primordiales. La répression, à titre d’exemple, est une piste, même si
elle paraît bien entendu parfois démesurée. Le débat est ouvert mais
devant un problème complexe qui englobe tout un univers économique et
culturel, le groupe Kyo n’a pas la prétention de pouvoir fournir une
réponse tranchée. (*) Manager du groupe
Kyo.
Doan Bui
Ecrit par TheMiStErTooN, le Mercredi 9 Février 2005, 00:19 dans la rubrique "Moi".
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